« El Dorado »… Un Melting-Pot d’identité, de généalogie et de procédures administratives

Il y a quelques années il était à la mode de trouver par soi-même, ou bien de payer un expert pour élaborer l’arbre généalogique de sa famille.

Cet outil a été utilisé majoritairement par des citoyens sud-américains intéressés dans l’obtention d’une autre nationalité, notamment européenne. A travers de la généalogie, ils cherchaient à prouver un lien de parenté avec des ancêtres espagnols, français, allemands, italiens, en fin, des pays membres de l’Union Européenne. Le nouveau « El Dorado » est né.

Cette procédure a été valable au cours des années 90, mais récemment, elle a été relancée uniquement par l’Espagne. L’État a reconnu publiquement l’expulsion de la population juive séfarade, au cours du XVème siècle et dans ce sens, une loi a été émise, permettant ainsi la possible obtention de la nationalité espagnole par les descendants, des juifs.

En pleine période de «reconquista española»[1] commandée par les rois catholiques, l’objectif central était celui de la réunification du territoire. Les mesures adoptées à l’époque ont eu aussi des effets négatifs pour la population juive séfarade. Ces derniers coexistaient pacifiquement à Al-Andalus, avec les «maures » et les catholiques, pendant huit siècles. La durée totale sous domination arabe sur la péninsule ibérique.

Une fois la reconquête prononcée, la communauté juive séfarade visée depuis longtemps par les rois catholiques, avait deux choix : la conversion, ou/et l’expulsion du territoire espagnol. Une nouvelle fenêtre s’ouvre à l’Espagne réunifiée à partir de la « Conquête d’Amérique » à laquelle nous, américains émancipés préférons appeler la Colonie.

Dans ce contexte géo-politique, les juifs expulsés sont à la fois catapultés vers la nouvelle destination. Au Mexique, au Venezuela et en Colombie, d’où proviennent la plupart des dossiers de sollicitation de la nationalité espagnole, avoir un parent juif, expulsé et malmené quelques siècles auparavant, s’est transformé en l’opportunité de traverser l’Atlantique, cette fois-ci, de retour à l’ancien continent.  

Peu d’attention est donné au processus vécu par les personnes que à partir du XVIème siècle sont arrivées en Amérique. Certains de ces nouveaux arrivants étaient de convertis «conversos» qui se seront contentés de pratiquer la foi chrétienne, pour garder la vie sauve. N’oublions pas que pendant la période coloniale, le Tribunal de Sainte Inquisition[2] avait trois bureaux en Amérique Latine: à Lima au Pérou, au Mexique et à Carthagène des Indes en Colombie.

Dans le cadre de la procédure de nationalisation proposé par l’État espagnol, la plupart de familles qui cherchent à établir un lien généalogique avec les juifs séfarades, s’intéressent uniquement aux bénéfices qu’ils pourront tirer d’un passeport européen et pas forcément du passé de leurs ancêtres.

Pour entamer la procédure un bureau d’avocats domicilié en Espagne doit être embauché par la famille ou la personne intéressé. Ces avocats seraient en charge d’étudier le dossier, d’orienter la démarche administrative et de représenter les parties devant les autorités espagnoles.

Egalement, un examen de connaissances générales sur l’Espagne doit être validé avant que les autorités religieuses juives, représentées par un groupe de Rabbins, puissent s’occuper de la recherche des origines réelles ou prétendues de la famille latino-américaine.

D’un point de vue financier, la procédure n’est pas donnée et seulement les personnes appartenant à une classe moyenne – haute peuvent se permettre tels frais, notamment en cas de refus de la demande. Bien que le risque financier soit réel, le coût paraît moindre s’il permet de redéfinir la vie d’un individu et changer son quotidien, en tant que citoyen binational.

Tout le processus de validation reste purement administratif et factuel mais, quels sont les connaissances des prétendants à la nationalité sur la communauté juive séfarade ou encore sur le judaïsme ?

A partir d’une réflexion nettement identitaire, il m’est inévitable de penser à la façon dont ce nouveau binational se présentera devant ses concitoyens européens et américains. Le fera-t-il à partir d’une narrative dominante européenne?

Si c’est le cas, cela me paraît une démarche, pour le moins contradictoire, puisque la nouvelle nationalité aurait été obtenue à partir du fait que ces ancêtres ont été délibérément soumis, torturés, et expulsés par l’Éspagne.

Un autre facteur à considérer est celui des rapports de domination entre les espagnols et les Sud-américains, lesquels restent intacts. La violence, l’exclusion et la discrimination envers les migrants et ses descendants, présumés Sud-américains, reste assez récurrente.

Une autre réflexion me trouble aussi, où est –on du récit sur le passé Noir et Indigène dans les pays latino-américains? Celui reste caché, oublié, dévalorisé et donc indigne d’être raconté?

La version espagnole: européenne et dominante, reste toujours le centre de notre récit identitaire en tant que latino-américains, un lieu de privilège pour nous positionner en fonction de la couleur de notre peu, dans nos sociétés racisées[3] et métisses.

L’histoire d’un peuple sémite comme le juif ouvre sans doute une fenêtre d’opportunité pour nous positionner différemment dans nos sociétés.

Cependant, le récit à propos de l’Espagne maure et celui des migrants morisques[4] arrivés aussi en Amérique, reste toujours en dette. Cela, malgré les huit siècles de permanence arabe dans la péninsule, de leur influence architecturale, de la richesse économique, de l’exemple de convivialité entre peuples différents.

Egalement, la langue arabe a façonnée la langue espagnole, imposée par extension dans toutes les provinces coloniales de la nouvelle puissance mondiale du XVIème siècle. Un détail qui n’est pas moindre car nous sommes aujourd’hui plus de 500 millions d’hispanophones et partageons l’une de cinq langues les plus parlés au monde.

Pour plus d’informations sur la Loi de la nationalité espagnole pour les juifs séfarades: http://www.exteriores.gob.es/Consulados/SANFRANCISCO/es/Consulado/Paginas/Articulos/Leynacionalidadespa%C3%B1olasefard%C3%ADes.aspx


[1] La Reconquista, ou Reconquête, désigne les siècles de luttes entreprises par les chrétiens espagnols contre les musulmans pour reconquérir le territoire. La Reconquista se prolonge jusqu’en 1492, date à laquelle les Rois Catholiques s’emparent de Grenade. https://www.linternaute.fr/actualite/guide-histoire/2280741-reconquista-espagnole-dates-resume-de-la-reconquete-chretienne/

[2] L’Inquisition espagnole par la bulle du pape Sixte IV, en novembre 1478, à la demande des Rois catholiques, Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon, précise par une bulle pontificale en mai 1536, les attributions de l’Inquisition concernent le judaïsme des nouveaux chrétiens convertis, le luthéranisme, l’islam et la sorcellerie. https://www.linternaute.fr/actualite/guide-histoire/2280741-reconquista-espagnole-dates-resume-de-la-reconquete-chretienne/

[3] Racisé désigne la condition d’une personne victime de racisation, c’est-à-dire qu’elle est assignée à une race du fait de certaines caractéristiques subjectives. https://www.linternaute.fr/dictionnaire/fr/definition/racise/

[4] Les Morisques sont d’anciens musulmans espagnols qui ont été convertis de force au catholicisme à l’initiative de Ximenez et continuent discrètement de pratiquer leur ancienne religion. Leur nom est dérivé de Moro (ou Maure), habitant de l’Afrique du nord. Ils sont au nombre d’un demi-million (sur une population totale de huit millions d’habitants), très actifs dans l’agriculture et l’artisanat. https://www.herodote.net/22_septembre_1609-evenement-16090922.php

Publié par Mi vida en cuatro tiempos

Escribo para responder a la necesidad creativa de compartir reflexiones, aventuras y algunas historias personales. J'écris pour exprimer plein d'idées ou de réflexions qu’occupent ma tête quotidiennement. Ce Blog contient aussi quelques histoires personnelles.

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