Rentrer pour mourir chez soi

Il y a 3 jours, le 20 juin, on a vu défiler sur les réseaux sociaux quelques post à propos de la journée mondiale du migrant et du réfugié. En même temps, je n’avais pas eu la force de publier ce texte lié à ce sujet, lequel tournait dans ma tête depuis plusieurs jours.

J’avais écouté le récit d’un migrant qui a dû sortir de son pays, après avoir démissionné d’un travail dans lequel il se sentait exploité. La paye qu’il recevait à la fin du mois ne lui permettait pas de subvenir à ses besoins, au-delà des quinze premiers jours.

Partir en raison des difficultés économiques, de la persécution idéologique, des actions politiques et sociales, de l’identité sexuelle. Partir pour trouver une solution à nos problèmes, partir sans évaluer les risques car on considère que la situation est déjà insupportable et insurmontable chez nous.

Partir après avoir vendu le peu qu’on possède, partir après s’être mis d’accord avec un passeur, d’acquérir une dette, de perdre ses droits et de ne pas savoir quand est-ce que la liberté sera acquise. Partir pour se libérer mais finir comme un esclave.

Partir dans un bateau susceptible de naufrager, caché dans un camion ou dans un container rarement contrôlé dans un port. Partir à pied, traverser les rivières, les montagnes et les déserts. Partir avec un petit sac à dos, sans savoir de quoi on va se nourrir, ce qu’on va boire, où on va dormir, aller aux toilettes ou se laver. Mettre en risque son intégrité physique et personnelle pour arriver à une destination parfois idéalisée.

Partir sans savoir ce qu’on deviendra dans le pays de transition et encore moins dans celui d’accueil. Partir avec un petit espoir, avec l’idée de trouver une manière de gagner mieux sa vie et d’aider la famille qui a dû rester sur place. Prendre le risque de survivre ailleurs et caresser le rêve de rentrer un jour.

Mais la pandémie du Covid-19 a remis en question tout cela. Cette pandémie a créé une difficulté supplémentaire aux migrants qui dans plusieurs pays travaillent hors la loi, sans la reconnaissance de leurs droits. Des emplois précaires dans la plupart des cas concurrencés avec des sujets locaux moins favorisés. C’est un combat entre précaires qui réalisent les tâches que personne ne veut faire.

Un revenu qui dépend d’une vente dans un trottoir – de biens ou de son propre corps. Un revenu obtenu à partir d’un effort physique portant des sacs dans un marché, dans un chantier. Quelques pesos, dollars ou euros recueillis après d’avoir chanté dans les transports publics, d’aller nettoyer une maison, de garder un dépôt, de conduire un tuc-tuc, d’être livreur en vélo, de nettoyer les vitres des voitures avant que le feu passe au vert.

Tous ces survivants de l’ombre, exclus de nos journées et de nos commodités, se sont vus affectés par la pandémie. Toutes ces personnes qui si souvent, doivent payer quotidiennement le loyer d’un lit, d’un matelas, ou simplement d’un espace, dans une chambre surpeuplée par d’autres personnes vulnérables, se sont retrouvées à la rue, démunies, isolées, sur classées.

Les propriétaires de ces habitations loin d’expérimenter la crainte d’abriter des personnes malades, habitant dans des espaces exigus et insalubres, étaient plutôt inquiets par le fait que les migrants n’avaient pas de quoi payer la chambre, faute de ne pas sortir pendant la période de confinement.

Des solutions à cette situation catastrophique manquaient, les migrants n’ont pas de points de chute, ni de la famille, ni un ami qui puisse les accueillir pendant la crise.

Le traitement des morts du Covid-19 déjà problématique dans certains pays en voie de développement, lesquels accueillent également des migrants – en effet tous les migrants ne cherchent pas à se rendre aux Etats Unis ou en Europe – n’ont pas les moyens matériels, ni pratiques pour venir en aide de ces populations. Ils n’ont jamais été une priorité et ne le seront pas en temps de crise.

Des centaines de migrants repartis sur le continent américain ont décidé d’entamer de marches de milliers de kilomètres pour rentrer chez eux. Envisager l’achat d’un billet de bus déjà cher pour la plupart d’entre eux, restait un risque en raison de la fermeture des frontières et des contrôles policiers. Les « vols humanitaires » programmés soit disant par les gouvernements des pays d’origine, d’accueil et de transite n’ont pu transporter que quelques centaines de personnes, souvent ceux qui avaient de quoi payer le billet d’avion.

Marcher et marcher pour rentrer chez soi avec la peur au ventre car le retour se fait en groupe. Un groupe qui peut être considéré comme un focus d’infection, compte tenu de la dureté de leurs conditions de vie et d’hygiène. Une maladie affreuse qui discrimine et stigmatise d’avantage les migrants.

Partir à nouveau mais cette fois pour aller mourir chez soi, près des siens. Retourner, laissant derrière le petit espoir qui les a fait partir au début.

Essayer de rentrer chez soi mais être arrêté sur le chemin par les autorités qui entassent les personnes dans des dépôts, en attendant que les statistiques du taux d’infection et de reproduction du virus descendent ou mieux, que la pandémie passe.

Certains de ces migrants vont mourir seuls et leurs corps abandonnés sur un chemin, ou enterrés dans un endroit que personne ne saura repérer, ni communiquer à sa famille. Certains vont mourir sans pouvoir retourner à tout ce qu’ils ont connu, sans sentir un peu d’empathie et d’amour, sans avoir la chance de vivre à nouveau dans leur propre pays.

Les migrants parfois aidés par des citoyens, des associations et des ONG’s sont peu nombreux car la mobilité des acteurs sur le terrain est aussi limité. Les ressources sont maigres, et en temps de pandémie on a tendance à être plus solidaires avec les personnes en situation de précarité partageant la même nationalité, et pas forcement réfléchir sur le destin de ceux qui viennent d’ailleurs.

Ce virus qui continue à nous menacer a fait émerger les peurs des migrants partis chercher ailleurs une autre vie. La peur de la mort éloignés de ces proches. Cette peur, cette désillusion, cette discrimination exacerbée, ce sommet de vulnérabilité qui a poussé les migrants à reprendre les routes et les bateaux de fortune pour faire le chemin de retour, car si la mort arrive il vaut mieux être chez soi.

Publié par Mi vida en cuatro tiempos

Escribo para responder a la necesidad creativa de compartir reflexiones, aventuras y algunas historias personales. J'écris pour exprimer plein d'idées ou de réflexions qu’occupent ma tête quotidiennement. Ce Blog contient aussi quelques histoires personnelles.

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