Le chemin …
Quinze ans après leur premier contact, Lucia a revu Oleana dans un endroit pour le moins inespéré. Ni l’une ni l’autre n’habitaient plus Bogotá. La voix d’une d’entre elles a éveillé l’attention de l’autre qui après un regard croisé a confirmé l’identité de son ancienne camarade de classe. Ce premier regard été chargé de tous les souvenirs d’un temps lointain mais à la fois si présent dans leurs vies. Un temps qui portait leur morceau d’histoire commune.
A la fin des années 90 Lucia et Oleana se sont connu le premier jour d’université. Les deux avaient décidé de réaliser des études d’architecture dans une école très réputée de la ville.
Lucia provenait de la classe moyenne, sa vie était le portrait de l’ascension sociale offerte par ses parents, qui à force de travail et sans une profession définie, avaient réussi à donner à leurs trois enfants une éducation privé et de bien meilleur qualité que celle qu’ils ont connu.
Le père de Lucia, Ivan était un commerçant prospère. La mère, Doris était secrétaire dans un bureau d’avocats depuis plus de vingt ans. Les trois enfants du couple : Pedro, Daniel et Lucia, avaient 2 ans d’écart entre eux. Cette proximité avait posé un grand problème financier lorsque tous ont décidé de poursuivre des études universitaires dans des établissements privés.
Pour Ivan c’était une question de fierté et il n’était pas en position de briser les rêves de ses enfants, ceux que Doris et lui-même avaient encouragés depuis leur très jeune âge. Pour les parents de Lucia, le plus important était de garantir leur avenir et cela passait nécessairement par l’éducation. Les loisirs étaient surtout à l’aire libre, faute de moyens pour investir dans ceux du type culturel.
Pendant des années, la famille n’a pas connu des vraies vacances et les voyages étaient limités à la ferme familiale, non loin de Bogotá. Ils étaient toujours accueillis par d’autres membres de la famille, même si parfois ils étaient serrés et gênés de devoir passer plusieurs jours dans ces conditions.
Pour Ivan « les problèmes d’argent sont résolus avec l’argent », toujours fidèle à son esprit pratique et à sa manière de voir la vie, le verre à moitié plein.
Ivan et Doris ont emprunté des importantes sommes d’argent pour permettre à leurs enfants de poursuivre leurs études et d’être les premiers de la famille à obtenir de diplômes d’éducation supérieur.
Pedro, l’enfant ainé, avait choisi de devenir économiste, Daniel s’est décidé pour la comptabilité et Lucia très créative, avait choisi l’architecture.
Elle éprouva une joie sans précédentes lorsqu’elle a reçu la lettre d’acceptation de l’Ecole d’Architecture. Lucia comptait les jours avant la rentrée. Elle s’imaginait les cours dispensés par les professeurs réputés qu’elle avait aperçue dans le prospectus, ses nouveaux amis, elle se voyait profiter de ce grand campus qui attirait tant d’étudiants d’autres universités proches, qui ne disposaient pas d’espaces verts où se détendre.
L’histoire d’Oleana était assez différente. Elle était la petite fille d’un migrant iranien, arrivé en Colombie vers la fin de la Première Guerre Mondial. Avant son arrivée au sud du continent américain, Arian avait laissé sa natale Ispahan pour aller étudier aux Etat Unis. Il avait obtenu une bourse pour réaliser des études en mathématiques, à l’université de Cambridge au Boston.
Arian était un homme brillant et sa carrière prometteuse. Néanmoins, la vie aux Etats –Unis ne lui plaisait pas complètement et il se sentait attiré par d’autres cultures. A l’époque, Arian commençait à penser à la possibilité de rentrer en Iran, puis joindre étant que professeur l’une des universités de Téhéran, l’opportunité de partir ailleurs lui a été proposée.
L’un de ses professeurs de fin d’études, lui a raconté que l’exploration d’énergies non renouvelables commençait dans les pays du sud du continent et que cela permettait à plusieurs entreprises et aux multinationales américaines, britanniques, françaises et allemandes d’ouvrir des nouveaux marchés sur place.
Non seulement les ingénieurs et géographes étaient recrutés en grand nombre. C’était aussi devenu l’opportunité des mathématiciens qui souhaitaient exercer leur métier dans un environnement différent à ceux des laboratoires et des salles de cours.
Arian a été recruté par ExiMo et envoyé au département du Meta à l’ouest de la Colombie. Rapidement, il fonde une famille avec une femme locale qui travaillait aussi dans l’entreprise, en tant que assistante de recrutement. Ils ont eu un seul enfant Ramin qui était le père d’Oleana.
A l’âge adulte, Ramin est devenu ingénieur spécialisé dans l’exploitation de pétrole, ce qui lui a garanti un emploi bien rémunéré tout au long de sa carrière professionnelle.
Ramin a eu son premier emploi dans la même entreprise où ses parents avaient travaillé plutôt, mais sa spécialité l’a amené à chercher d’autres opportunités à l’étranger, initialement au Venezuela, puis dans les pays du Golfe Persique et sa dernière expérience s’est déroulée en Russie.
C’est dans ce dernier pays, à l’époque le cœur de l’Union Soviétique, où il a connu Martyna, qui deviendrait la mère d’Oleana.
Martyna venait de Lituanie et comme plusieurs de ses citoyens soviétiques, elle cherchait aussi à échapper à ce régime. Elle était mathématicienne et pour Ramin c’était plus qu’une évidence de partager sa vie avec elle. Ils avaient les mêmes centres d’intérêts, ceux qu’il partageait aussi avec son père.
Le couple s’est installé en Colombie où Oleana et née deux ans après. Fille unique, comme son père, Oleana a été élevée dans le confort d’une famille aisée et multiculturelle, assez atypique en matière de croyances, mais traditionnelle dans leur manière d’apercevoir la réussite, évalué en termes financiers.
Oleana est allée dans une école bilingue anglaise. Depuis son jeune âge, elle connaissait des mots en lituanien, russe et perse. Toutes les années, Oleana était envoyé en colonies de vacances à l’étranger pour des périodes de deux mois, souvent dans des pays anglophones.
A ses 19 ans, Oleana fut acceptée à l’Ecole d’Architecture. Son dossier avait été remis en mains propres au doyen de la faculté d’architecture par son grand-père. Malgré les nombreuses possibilités que la vie lui offrait, Oleana restait toujours perdue par rapport à son avenir, et c’était son grand-père, Arian, qui avait pris l’initiative d’apporter le dossier à son ami le doyen.
Elle avait déjà passé une année à l’école de beaux-arts, mais elle s’était rendu compte que cela ne lui apportait le plaisir qu’elle recherchait. Oleana était assistée les trois premiers mois, puis elle avait abandonnée l’école. Ses parents ne lui ont jamais dédié beaucoup de temps et les seuls à s’inquiéter pour son éducation étaient les grands parents. Toujours gâté par ses derniers, Oleana n’a pas pu refuser l’option que lui a proposée son grand père, toujours dans un effort d’encadrer la jeune fille.
Le jour arrivé, Lucia prit le bus à deux rues de la maison où elle habitait avec ses parents et ses frères. Elle savait que le parcours lui prendrait une heure, mais sachant que l’heure à laquelle les étudiants du premier semestre avaient été convoqués et que l’heure de pointe approchait, elle était partie un peu plus tôt que prévu. Lucia est arrivée à la faculté avec une vingtaine de minutes d’avance, elle a eu le temps de chercher la salle de convocation et de s’acheter un café.
En voiture, Oleana mit quarante minutes jusqu’à l’Ecole. Elle connaissait bien le quartier et savait dans quel parking elle allait garer sa voiture. Oleana est arrivée dix minutes à l’avance, le temps suffisant pour fumer une cigarette et pour retrouver son copain Antonio qui réalisait déjà des études d’architecture depuis un an.
La rencontre…
Le café de la Fac d’architecture était l’espace le plus proche pour se détendre, ce fut dans cette espace où Lucia et Oleana se sont parlées pour la première fois.
Lucia avait compris depuis le tour de table qu’elle n’était pas la personne moins favorisée (financièrement parlant) de la classe, mais que la plupart de ses collègues étaient des enfants riches, bilingues, assez sures d’eux-mêmes.
Elle avait pris assez de recul pour comprendre que l’intégration ne serait pas facile. Certains d’entre eux se connaissait déjà, d’autres avaient rapidement échangé par rapport à leurs écoles et à leurs voyages d’été à l’étranger.
Lucia avait fait des études dans une école privée, mais pas dans les écoles de riches. Il s’agissait d’une école moyenne, sans d’autres prétentions que préparer suffisamment leurs élèves pour obtenir le baccalauréat et poursuivre leur scolarité. Lucia n’avait jamais mis un pied en dehors de la Colombie et malgré les efforts de ses parents pour qu’elle apprenne une langue étrangère, son niveau d’anglais était plutôt basic.
Lucia savait d’avantage le type d’école qu’elle intégrerait, mais elle n’avait jamais été confrontée à une différence sociale si évidente. Ses parents qui n’ont jamais fait des études universitaires ne pouvaient pas la préparer à cette expérience, et ses frères Pedro et Daniel étaient assez discrets, peut-être dans un effort de fierté, ou peut-être car dans les métiers qu’ils sont choisis il y avait plus de diversité sociale.
Au cours de la pause-café, Lucia s’est assis seule à une table pour quatre. Elle regardait de loin les autres et malgré son habilité pour entamer des discussions, elle n’arrivait pas à trouver un sujet pour s’approcher des autres et lancer une première conversation avec ses nouveaux collègues.
Oleana s’apprêtait à allumer une cigarette lorsqu’elle se rendu compte qu’elle n’avait plus son briquet. La première table à proximité était celle de Lucia, elle s’est donc approchée pour lui demander si elle avait du feu :
– As-tu du feu ?
– Non, j’ai oublié mes cigarettes ce matin.
C’était faux. Lucia n’avait jamais fumé. A ses 17 ans, elle avait crapoté avec ses frères dans le patio de la maison deux fois, quand ils avaient volé des cigarettes au jardinier qui venait une fois par mois s’occuper des plantes et de la pelouse.
Oleana a entamé donc la discussion :
-Tu étais dans le cours d’intégration de la Fac d’Archi, non ?
-Oui, la présentation était un peu longue. Heureusement, qu’ils ont parlé d’une pause car je commençais à m’endormir.
C’était faux aussi, Lucia avait pris des notes et était super excité par les présentations des professeurs et du doyen. Mais elle savait pertinemment qu’une attitude de première de la classe ne lui faciliterait pas la tâche pour se faire de nouveaux amis, ou encore de trouver quelqu’un pour partager l’heure du déjeuner.
Oleana a trouvé le commentaire précis, elle aussi s’ennuyait à mort et attendait juste l’heure du déjeuner pour retrouver son copain Antonio. La pause terminée, elles se sont dirigés à nouveau vers la salle pour écouter d’autres informations, au moins pour une heure de plus.
A midi quelques groupes s’étaient déjà formés mais Lucia était seule et résignée à manger dans l’un des fast-foods du coin. Son budget était limité et elle ne ferait pas de dépenses importantes le premier jour de cours.
Elle s’apprêtait à partir, quand Oleana lui a fait signe. Elle était avec son copain Antonio et les deux lui proposent de venir manger avec eux. Antonio a eu l’idée d’aller au fast-food auquel Lucia avait pensé auparavant, cela la soulagea.
Au cours du déjeuner Antonio avait pris la parole, il a un avis sur les professeurs, sur le fonctionnement de la fac. Antonio représentait à la perfection le groupe majoritaire d’élèves vis-à-vis de leurs prétentions, mais aussi d’un passé familiale réputé et aisé. Il avait un look qui jonglait entre mannequin de la Fashion Week et Tommy Lee, le batteur de Motley Crue.
Antonio n’a rien demandé à Lucia. Oleana de son côté paraissait tellement admirative envers lui qu’elle n’osait l’interrompre. Une heure et demie après, ils se sont séparés et Oleana et Lucia sont retournées à la salle où se tenait la journée d’adaptation.
Les jours suivants seraient marqués par les nombreuses présentations devant les professeurs, qui insistaient à connaitre le prénom des élèves, la région et l’école dans laquelle ils avaient finalisé le secondaire. Parfois, Lucia passait du temps avec Oleana et le groupe qu’elle avait formé avec des filles provenant du nord de la Colombie de Carthagène, Barranquilla et Santa Marta.
Lucia se sentait seule mais à vrai dire la possibilité de devoir travailler en groupe la dérangeait profondément. Elle savait que devant un binôme ou un groupe de travail à quatre elle serait exclue par le groupe d’Oleana.
Quelques semaines après, un garçon qui venait de Bucaramanga, au nord-est de la Colombie était le dernier étudiant à rejoindre le cours, son prénom était Andrés. Lucia a été son premier contact et elle lui a proposé de lui prêter ses notes pour qu’il puisse avancer sur les contenus de la première semaine.
*La deuxième partie de cette histoire sera publié prochainement…