La réaction au sarcasme

Rage, impuissance, négation, déception, répulsion. Tous ces sentiments sont ressentis par de nombreux colombiens, plusieurs d’entre nous des migrants, des expatriés, des réfugies, toujours vigilants à la réalité de notre pays.

Au cours de cette année la Colombie a connu 44 massacres, dans lesquels 187 personnes ont perdue la vie. Rien que pour le mois d’août perpétrés 9 massacres ont été perpétrés dans plusieurs zones du pays: de Santander de Quilichao (3) à Cali (5); de Samaniego (8) à Ricaurte (3); d’Arauca (5) à El Tambo (3); de Tumaco (6) à Venecia (3). Le 28 août l’horreur s’est déplacé à la zone rurale d’Andes(3)[1]

Entre la semaine dernière et celle qui se termine 42 personnes ont été assassinées. La plupart d’entre eux avaient moins de 25 ans. Certains étaient des enfants, des étudiants universitaires, autres étaient reconnus pour leur leadership au sein de leurs communautés. Il y a aussi des paysans et certaines victimes sont aussi des afro-colombiens et des indigènes.

Ils sont tous les mêmes pauvres, les mêmes victimes du déplacement forcé, les mêmes personnes qui luttent pour conserver leurs territoires ancestraux et libres de violence, les mêmes voix inaudibles, depuis plusieurs décennies.

Au loin, comme un ancien souvenir, se place l’espoir que plusieurs d’entre nous avons gardé après la signature de l’accord de paix entre l’Etat colombien et la « guerrilla » des FARC en 2016.

Malgré le pessimisme d’un secteur de la société colombienne, toujours opposé à la sortie du conflit armé par la voie de la négociation; l’accord supposait le début d’une phase de transition, après plus de cinquante années de guerre ininterrompue.

Les quelques mesures mises en place par le gouvernement précédent, celui de Juan Manuel Santos, avaient attirée l’attention de la communauté internationale, dont une partie avait participé dans les pourparler avec les FARC. Dans ce contexte, la Colombie est devenue un nouveau point d’attraction pour investisseurs et touristes.

Deux années après, le gouvernement de l’actuel président Ivan Duque, élu à partir d’une rhétorique mensongère et de l’idée de détruire les accords de paix, nous sommes revenus vingt ans en arrière. Nous retrouvons des dynamiques tellement similaires aux périodes les plus sombres de l’histoire de la Colombie. Assez pour que l’espoir soit complètement disparu.

Les engagements pris par l’Etat colombien, issus de l’accord, n’ont pas été respectés par le gouvernement actuel. De manière délibérée, il s’oppose au financement général des actions clés de l’accord de paix.

Le gouvernement d’Ivan Duque a mis en danger les mesures de réinsertion à la vie civile et la protection des anciens combattants; arrêté les subventions destinés au développement de leurs projets productifs; bloqué la discussion et approbation de la reforme agricole et retardé les procédures prévues dans la loi d’accès à la terre. De plus, le gouvernement a mis en en doute l’efficacité et en l’occurrence la continuité à la politique d’éradication volontaire des cultures illicites, et retardé la mise en place des Projets de Développement sous une approche territoriale (PDET)

Le secteur politique qui a gagné la présidence, attaché à un discours sécuritaire, aligné avec la politique antiterroriste des années qui ont suivi les attentats du 11-S aux Etats-Unis, n’est même pas en mesure de garantir la présence de l’Etat dans les espaces territoriales abandonnés par les FARC.

Ce secteur politique convaincu de l’importance de déployer les Forces Armées pour résoudre des problèmes multifactoriels : couverture limité en l’éducation, manque de voirie et des services de santé, offre réduite d’opportunités de travail; n’est même pas été en capacité de protéger la vie des personnes.

Le rôle des forces de l’état est tellement pénible qu’ils ne savent pas quoi faire, alors qu’ils ont été alertés par d’autres institutions sur le recrutement forcé d’enfants et adolescents, aussi à propos des menaces de mort à l’encontre des leaders sociaux, des défenseurs de droits humains et des droits d’accès à la terre. Ils ne protègent pas les membres des anciennes FARC, en tous cas à ceux qui avançaient dans leur processus de réinsertion à la vie civil.

L’accord de paix n’est plus que un tas de feuilles de papier. Une loi qui reste lettre morte et symboliquement déposée dans le destructeur de documents. Comme si le pouvoir en place était en capacité de détruire de la mémoire collective la courte période de calme dont ont bénéficié les citoyens y compris les habitants des zones plus oubliés par l’Etat.

Depuis le début d’un gouvernement qui s’auto-défini comme de centre-droite mais qui est tout à fait défenseur des idées d’extrême droite, ils se sont concentrés dans l’utilisation d’euphémismes pour éviter de rendre comptes sur le désastre, l’horreur que vie la Colombie actuellement.

Par exemple, le gouvernement a décidé de ne plus appeler les massacres ainsi et de les distinguer comme des « assassinats collectifs », portant le débat sur le langage et non sur la gravité des faits. Dans le même sens, ils ont décidé de ne pas rechercher, ni essayer de comprendre l’origine des crimes envers les leaders sociaux. Au lieu de cela, ils préfèrent les attribuer à des « problèmes de voisinage, relationnels ou à de simples vols de vêtements ». Dans des cas les plus pathétiques, il y a une négation de la condition de leadership de la personne assassinée, ou bien ils évoquent des hypothèses sur les possibles délits commis par les victimes.

Ce gouvernement, a décidé de sataniser tous les secteurs de la société ayant pris une position critique de leurs politiques et de la direction que prend la Colombie. Fidèles à leurs délires « sécuritaires » le pouvoir en place a procédé au suivi illégal des personnes, au harcèlement et à la stigmatisation des journalistes et de médias indépendants, ainsi que contre les politiciens de gauche et les membres des cours de justice. En somme, contre tous les acteurs en capacité de communiquer vers l’opinion publique les actes de corruption, d’inaction, le népotisme, et les irrégularités du gouvernement d’Ivan Duque.

Les réactions du parti au pouvoir le « Centre Démocratique » paraissent du pure sarcasme, une mauvaise et cruelle blague. Leurs sénateurs et représentants sont prêts à défendre des actions même à l’encontre du droit international humanitaire.

Le leader unique du « Centre Démocratique » paraît toujours vivre dans la période de la guerre froide car tout leur argumentaire est basé sur la lutte contre le communisme, ce qui passe forcement par la protection de la propriété privé. Le fantôme du socialisme du XIXème siècle qui a évolué différemment au Venezuela, Brésil, Bolivie et Equateur, depuis le début des années 2000, est exploité au maximum par le parti au pouvoir.

Il paraît qu’ils ne sont pas prêts à partager le pouvoir avec d’autres mouvements politiques, qui en Europe seraient considérés comme sociaux-démocrates et écologistes. Ils vendent des idées absurdes comme celle selon laquelle la gauche est toujours violente et armée. Des propos assez paradoxales puisque en Colombie la lutte armée s’est peint le visage de toutes les couleurs et s’est définie de droite et de gauche selon les circonstances.

Or, dangereusement les membres du parti au pouvoir copient de plus en plus les discours et les comportements des régimes totalitaires qui ont marqué l’Europe du XXème siècle. Tous ses membres sont des utilisateurs de la démagogie et des Fake News comme source principale de leur langage politique. Ce n’est que de la pure propagande mensongère qui cherche à créer des ennemis internes et externes.

Ils se servent du discours d’élimination d’ennemis supposés pour se vendre comme les sauveurs de la république, et le seuls garants de l’ordre. Eux qui n’ont pas honte de proposer la destruction des institutions pour se perpétuer dans le pouvoir, qui ont rompu l’équilibre de pouvoirs par la cooptation des organismes de contrôle décrits dans la constitution. Eux sont les principaux intéressés au maintien de l’impunité.

Ce parti politique, profite des nombreuses heures attribuées par les grands médias pour déployer son monologue haineux, mensonger et victimisant. Le Centre Démocratique est le même parti qui a pour leader à un ex-président de la république, ayant plus de 200 investigations pour des crimes divers.

En parallèle, le cycle sans frein de violence a reprit sans que les autorités puissent diagnostiquer correctement les causes, les analyser et comprendre l’ampleur de ce phénomène pour proposer des solutions adaptées.

La responsabilité de la situation actuelle est aussi partagé avec les groupes armés, dont certains sont au service d’industriels et d’éleveurs qui cherchent à poursuivre leurs projets d’appropriation de la terre. Un projet qui utilise ce qui a déjà fonctionné : les menaces, les massacres, le déplacement forcé; la terreur qui règne avec impunité depuis plus d’un demi siècle.

L’appareil de justice lent et traumatisé par les violences envers les juges, manque toujours de valeur pour faire avancer les procès envers les hommes les plus puissants de la Colombie, y compris ceux du vrai président de l’ombre.

Quelle légitimité peut avoir un gouvernement qui décide de bâcler une demande d’extradition concernant l’un des principaux leaders paramilitaires, alors qu’il a toujours des procès en cours en Colombie?

Salvatore Mancuso, a été extradé aux Etats Unis pour le délit de narcotrafic, mais il n’a payé que quelques jours de prison en Colombie, pour les crimes commis envers ces concitoyens. Il était à la tête d’une organisation criminelle responsable d’assassinats sélectifs, de disparitions, d’actes de torture, de crimes sexuelles, du recrutement forcé de mineurs, de massacres programmés, de l’expropriation des terres, du déplacement forcé de dizaines de milliers de personnes. Ce délinquant et son organisation les AUC ont construit des liaisons avec des politiciens locaux et nationaux, pour installer le projet paramilitaire dans les plus hautes sphères de l’état.

La cooptation et la corruption de fonctionnaires judiciaires, administratifs, des agents des forces armées et de police, l’utilisation du capital apporté par des personnes et groupes économiques puissants, craignent que Salvatore Mancuso rentre en Colombie et dévoile la stratégie qui les a amené au pouvoir, qu’il révèle leurs identités et leur degré d’implication dans le conflit armé.

Peut être que cela explique les « erreurs » de procédure commises par le Ministère des Affaires Étrangères dans les quatre demandes d’extradition présentés aux autorités étasuniennes, toutes refusées. Cela paraît suspicieux pour un pays habitué à traiter des sollicitudes d’extradition et à demander à d’autres pays le rapatriement de ces citoyens Mais surtout, cette nouvelle bourde est accablante pour les victimes des paramilitaires.

Pour toutes les raisons ici mentionnées, je pense que la viabilité de la Colombie comme état démocratique est en péril. Il sera impossible de parler de paix sans l’existence d’une politique claire adressée aux territoires les plus affectés par la guerre pendant des décennies. Des territoires et leurs populations soumis à l’abandon et à la merci des groupes armés sans idéologie, très engagés dans toutes les étapes du narcotrafic: dès la production à la vente interne et externe. Mais aussi des populations dans le viseur de structures violentes en charge de l’exploitation illégale de ressources natureles, principalement d’or et du bois.

Le gouvernement actuel n’est pas intéressé dans la paix, ni dans la recherche de la vérité, ni dans la réconciliation, encore moins pour s’assurer de la non répétition des actes abominables qui ont eu lieu au cours des dernières soixante-dix années. Ce qui paraît énorme au vu de note courte histoire de deux cents années d’indépendance.

Nous, les colombiens, sommes le fruit de l’histoire d’un pays qui nous a appris a haïr. Nous sommes le fruit d’une classe politique qui s’amuse à nous diviser pour accroître l’intolérance. Nous sommes le résultat d’un système politique, sociale et économique qui a pour principe fondamentale l’exclusion de l’autre, qui clame la disparition de l’autre.

Nous appartenons à un pays où la vie de l’autre ne vaut rien, et certains se sentent en confiance pour justifier les assassinat et les massacres. Ils sont fiers de la poursuite de la guerre à tout prix. Nous sommes le fruit d’un pays qui transpire de la souffrance et à la fois est malade d’apathie et d’abandon, qui fait recours à l’anesthésie, à l’oubli comme unique alternative de survie.

La prise de décisions erronée, marquée par des politiques déjà prouvés caduques et un gouvernement indolent et incapable de ressentir un minimum d’empathie envers ses gouvernés, réduit les possibilités d’une vie en paix, d’une vie remplie de sens, éloignée de la violence systématique et du chaos.

La plupart des colombiens souffrent tous les jours, ils ressentent la boule au ventre qui s’appelle la peur. Malgré leur présentation comme un peuple résilient, je suis convaincue que cette prétendue résilience n’est autre chose que l’oubli. Un oubli qui coûte très cher lorsqu’un peuple manque de culture politique, d’éducation, de conditions dignes pour faire face à la vie. Cet oubli fini toujours par nous faire prendre des décisions électorales qui perpétuent le système qui nous tue.

Source: https://view.genial.ly/5ebaa16422adfe0d82f8f4ce/interactive-content-masacres-


[1] https://www.elespectador.com/colombia2020/pais/volvio-el-horror-43-masacres-en-colombia-en-lo-que-va-de-2020/

/https://www.elespectador.com/noticias/nacional/masacre-en-antioquia-asesinan-a-tres-personas-en-zona-rural-de-andes-antioquia/

https://caracol.com.co/emisora/2020/08/22/pasto/1598109001_016962.html

Publié par Mi vida en cuatro tiempos

Escribo para responder a la necesidad creativa de compartir reflexiones, aventuras y algunas historias personales. J'écris pour exprimer plein d'idées ou de réflexions qu’occupent ma tête quotidiennement. Ce Blog contient aussi quelques histoires personnelles.

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