De visite dans ton ancien quartier

Au cours de mon dernier voyage, les réflexions sur mon passé se sont cumulées comme un tas de feuilles d’automne qu’il faut à un moment ou à un autre ramasser, et disposer ailleurs.

Ce jour, après le rendez-vous médical, j’ai décidé de rentrer à pied à la maison. Sous le soleil brillant, plutôt habituel pour cette période de l’année, et d’un vent léger, j’ai démarré mon parcours.

C’était la première fois dans un peu plus d’une décennie que je parcourais à pied ce quartier. Au cours des dernières huit années avant mon départ, je le visitais de manière récurrente, presque quotidienne. J’avais appris à le connaitre, à esquiver le trafic des grands axes, grâce aux petites ruelles labyrinthiques et dangereuses après 19H00. Je connaissais bien le barman du seul bar du quartier, aussi à la propriétaire du magasin de desserts, j’aimais les nachos con queso et le chile con carne de la station de service, je faisais un peu de shopping les rares jours de soldes, j’aimais sortir avec toi le matin et aller chercher les croissants dans la boulangerie du coin.

Mais ce jour là, juste en début d’après-midi, j’ai découvert avec tristesse que les maisons traditionnelles avaient disparue une à une. Bien que dans le passé ce processus de destruction avait déjà commencé, le quartier m’a paru de plus en plus méconnaissable.

Des commerces de bouche avaient poussé comme des champignons, d’une manière si désorganisée et chaotique, probablement pour répondre aux besoins primaires des nouvelles familles, installées dans les nombreuses tours d’appartements.

J’ai décidé de m’éloigner un peu de ce nouvel axe commercial pour essayer de retrouver les anciennes maisons et me transporter au quartier de la « belle époque », afin de remémorer cet endroit plein de souvenirs.

Sans trop réfléchir, je me suis engagée sur la rue qui abritait ta maison temporaire, celle que tu avais utilisé pour entreposer entre autres les vidéos de la guerre en Tchétchénie. Ces vidéos que tu conservais précieusement car ils contenait les interviews que tu n’avais pas pu vendre, ni faire diffuser par les menaces et la peur qui ont suivi ce voyage.

A l’époque, la maison gardait un caché ancien, mais les vieux meubles étaient déjà couverts de l’habituelle drap blanc. La cuisine était complètement détruite, de ce fait, la seule chose qu’on pouvait obtenir c’était l’eau du robinet.

A l’étage la poussière avait pris sa place depuis long temps et tu trouvais inutile de faire déplacer quelqu’un pour assurer un minimum de propreté. De toute façon l’appartement que tu attendais depuis ton arrivée à la ville s’était libéré, et l’ensemble de tes affaires avaient déjà été réceptionnés. La maison resterait donc un endroit à conserver et à visiter de temps en temps, avant la publication de l’annonce, qu’officiellement la mettrait en vente.

Lorsque je me suis retrouvée à nouveau en face de la maison de notre première rencontre, j’ai ressenti des frissons, elle ressemblait aux maisons hantées remplies de fantômes. On dirait que depuis ton départ personne n’y a vécu. Les fenêtres saturées de poussière m’empêchaient de regarder à l’intérieur et de constater le moindre changement. Le vigile de la rue, n’était pas le même de cette époque, mais il commençait à se méfier de ma présence devant ton ancienne maison.

J’ai fermé les yeux pendant un très court moment, assez pour voyager dans le temps et me rappeler de ses couleurs, de ses odeurs. Assez pour déguster à nouveau tous les souvenirs comme on le fait en famille ou entre amis, lorsqu’on s’installe à contempler les photos instantanées prises il y a long long temps.

Ces instantanées sont vues et interprétées de manière si différente par chaque observateur. Dans ma tête, malgré le temps et les nombreuses difficultés liés à la fin de notre histoire, tous mes souvenirs restaient fidèles: étranges parfois, drôles par moments, gaies au début, incompressibles et si douloureux la plus part du temps.

Cette maison, inhabitée depuis, garde dans ses murs trop d’histoires mais j’en connais seulement une très brève, la notre. J’ignore complètement si après ton départ, la maison a été vendue, si tu as récupéré tes vidéos, si tu as gardé tes souvenirs, nos souvenirs; si tu y penses de temps en temps, ou si comme les interviews des tchétchènes tu les a stockés pour ne plus jamais les regarder, ni en parler, ni leur accorder la moindre importance.

Peut-être que ces souvenirs et ces vidéos te rappellent l’échec, l’impuissance, les erreurs que tu as commis, ceux qui t’on mis en difficulté et que tu as préféré avoir bien loin de ta vie complète, pleine de succès, calme, stable.

Je ne suis pas sure de vouloir transiter à nouveau par ton quartier, ni d’observer ton ancienne maison, déjà par peur de ne plus me retrouver dans un endroit qui me procurait un peu de bonheur et de calme; mais aussi car la vie est dynamique et que nous ne pourrons plus jamais partager à propos de nos souvenirs.

Publié par Mi vida en cuatro tiempos

Escribo para responder a la necesidad creativa de compartir reflexiones, aventuras y algunas historias personales. J'écris pour exprimer plein d'idées ou de réflexions qu’occupent ma tête quotidiennement. Ce Blog contient aussi quelques histoires personnelles.

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