L’histoire derrière un épisode Podcast

L’année dernière en pleine pandémie, j’ai découvert les Podcast : des contenus digitaux audio qu’on peut écouter sur nos appareils connectés, à l’heure et  jour décidée par celui qui écoute. Ils peuvent être écoutés dans presque toute la planète, et ils sont souvent gratuits, montés parfois sur plateformes internationales, ou par d’autres plus indépendantes.

J’ai suis devenue accro à ces contenus. Bien entendu, j’ai choisi des sujets qui suscitent mon intérêt : féminisme, culture, actualité du monde, politique, histoire. Je les écoute en français, en espagnol et en anglais.

Il y a une semaine, un épisode de mes podcast préférés est le noyau de la réflexion que je partage aujourd’hui avec vous. Les interactions des intervenantes de l’épisode « Féminisme pour toutes », résonnent toujours dans ma tête.

Un peu de contexte…

L’épisode fait référence au regard porté sur le féminisme à partir de groupes dites minoritaires, souvent exclus ou victimes de discriminations. Il ouvre dont la question à un féminisme décolonial, plus en vogue dans le contexte français par certaines militantes : noires, arabes, asiatiques, roms, musulmanes et juives. Toutes des femmes racisées et discriminées en fonction de caractéristiques réels ou supposées.   

Cela dit, je dois préciser que depuis quelques années, je retrouve de plus en plus des femmes latino-américaines en couple avec des hommes français blancs ou racisés.

L’histoire coloniale me touche profondément en tant que femme latino-américaine. Dans mon pays d’origine, la Colombie, nous avons été sujets de l’empire colonial espagnol pendant presque quatre siècles. Puis dès la du XIX siècle nous sommes sous l’influence exercée par les Etats Unis, une sorte de néocolonialisme

Certes, plusieurs d’entre nous avons compris depuis un bon moment que nous étions oppressées par « nos hommes », par « nos frères ». En Colombie, au cours de l’année 2020, il y a eu 630 féminicides. Puis au 18 mars de cette année il y a eu déjà au moins 40 cas. Cela sans tenir compte des autres types de violences faites aux femmes.

Nous les colombien.nes vivons dans une société victime du colonialisme, mais aussi atteinte par un conflit armé qui dure depuis 60 ans. Cela, malgré un accord de paix signé en 2016 entre le gouvernement colombien et la guerrillla la plus ancienne du continent américain. Ces deux faits, ont contribué à dégrader, en permanence, les corps des femmes, et à renforcer un modèle patriarcal assez bien installé.

L’ancienneté de faits historiques, dont la colonisation, rend difficile les revendications vis-à-vis des responsables de ce période qui a introduit les modèles complexes dans lesquels nous vivons. La nature du métissage forcé qui a eu lieu pendant la période coloniale a été diluée tout au long des siècles suivantes, jusqu’à normaliser ces faits, arrivant parfois à montrer une certaine « fierté » pour se retrouver dans l’axe de différents mouvements complexes de cette époque.

A savoir, plusieurs colons espagnols étaient des converses : anciens juifs et musulmanes qui se sont convertis au catholicisme des rois espagnols, durant la période de la reconquête espagnole. L’Espagne comme l’un des protagonistes du commerce triangulaire a introduit en Amérique des millions de personnes, rendues en esclavage en provenance de l’Afrique. Le port de Carthagène en Colombie était l’un des principaux ports de traite d’esclaves sur le continent.

Ce modèle d’organisation économique a encore aujourd’hui des répercutions graves pour les hommes et femmes afro-colombiens en termes de discrimination, déplacement forcé, sous-représentation politique, sous-développement économique des territoires et des conditions de vie plus proches de la misère dans les secteurs où géographiquement ils et elles sont majoritaires. Dans des conditions similaires sont les peuples originaires ou natifs, provenant de tribus diverses.   

Dans ce sens, le métissage est une sorte de fumée qui empêche de voir le tableau complet, où les droits des dites minorités sont remis en question en permanence, et cela en raison d’un racisme très répandu dans la société colombienne.

Des nombreux colombien.nes ne sont pas familiarisé.es avec les outils de revendication de nos droits. Cela s’étend aux femmes et des hommes des peuples natifs, et des afro-colombiens, même s’il y a des plus en plus des leaders sociaux qui luttent pour la reconnaissance et le respect de leurs droits (et autant d’assassinats pour les leur empêcher).

Le métissage, dont ma famille est l’un des portraits, nous empêche de prendre une autre position face au colonialisme, au patriarcat, et au capitalisme. Nous devons ajouter à cela le classicisme assez profond dans la plupart des sociétés latino-américaines. Le classicisme est aussi un produit des hiérarchies établies par les colons, une pratique qui est toujours d’usage en fonction de la couleur de la peau, de la proximité avec des ancêtres européens, en relation avec les ressources économiques réels ou apparents, et au niveau éducatif de la personne en question.

On ne se croise pas, on ne se mélange pas, on doit prétendre occuper une place selon sa « classe ». Dans ce mouvement invisible, changer de classe résulte difficile, car si vous allez vers une classe sociale supérieure, vous êtes en général mal aperçu. Vous êtes comme un « intrus » qui ne partage pas les codes, ni les groupes d’amis et de connaissances, ni le même parcours de vie. Cela amène à plusieurs personnes à mentir ouvertement sur leurs origines, à un déni permanent de soi, de sa famille, tout pour finalement  être « accepté ».

Quelle capacité en tant que individus racisés avons-nous de transformer ces sociétés, si inégales à tous les niveaux, ayant des économies instables et fortement endettées ?

Quelle capacité avons-nous de sortir des registres racistes, classicistes, patriarcales et capitalistes?

Les effets sur les femmes migrantes

Je me pose des questions sur nous, en tant que femmes migrantes, construites sur la base des oppressions de l’empire colonial, du néocolonialisme et du poids d’un conflit armée. Sommes-nous familiarisées avec nos droits dans le pays d’accueil ?

Pensons-nous qu’arriver aux pays du nord, nous permettra d’accéder automatiquement à toute une sorte des droits y compris des femmes sur place ?

Avons-nous conscience que toutes les femmes habitantes dans les pays du nord n’ont pas, dans la pratique, accès aux mêmes droits ?

Vis à vis du féminisme latino-américain, certaines femmes ont pensé (ou nous pensons?) que nous pouvions utiliser les luttes du féminisme mainstream comme une voie à parcourir pour accéder ainsi aux mêmes droits que les hommes.

Les droits économiques : à un travail rémunéré, à ouvrir un compte en banque, à  disposer de notre propre argent. Le droit à l’éducation basique et supérieure, les droits politiques, les droits reproductifs et sexuels. Pour rappel, certains de ces droits dont celui à l’avortement, et même au respect à la vie des femmes sont toujours des combats dans plusieurs pays du sud.

En effet, comme Florence Vergès, l’affirme au cours du podcast, nous avons « blanchi » nos causes et nos idéaux. La conséquence directe de cette décision a été  que certains groupes de femmes, ainsi que leurs problématiques sont toujours sous représentées et de ce fait, il existe une manque d’inclusion sur les récits des femmes migrantes et racisées.

Certes, il y a des causes partagées avec les féministes européennes blanches, mais nous oublions parfois nos besoins plus immédiats, nos problématiques d’accès, nos différences face à des personnes qui ont bien bénéficié d’un Etat providence et d’un système qui privilège une certain type de personnes. 

En Colombie depuis mes vingt ans, j’étais déjà sensibilisée aux questions de genre, en raison des violences sexistes et sexuelles propres, et aussi à celles vécues par mes proches et mes amies. Arrivée en France, j’ai appris davantage, je me suis formée à l’égalité entre les femmes et les hommes, j’essaie de mener un combat individuel et parfois d’en parler aux autres femmes latino-américaines. 

Lorsqu’on traverse l’Atlantique on se rend compte qu’on est des femmes racisées car maintenant notre métissage est visible, il n’est pas normalisé dans nos sociétés d’accueil. On se rend compte que nos récits n’ont pas forcément de la valeur, que nos accents et nos façons de nous exprimer posent problème. On est aussi quelque part exotiques ou suscitons de l’exotisme. Je ne pense pas qu’il soit anodin le nombre croissante d’unions entre hommes français et femmes latino-américaines. Malheureusement, je constate aussi une forme de soumission, et presque un devoir de remerciement dans certains cas. Cela me révolte. 

Est-ce que dans le cas des violences sexistes ou sexuelles, les femmes latino-américaines ont la connaissance de ce qu’elles peuvent faire, de leurs droits ? Est-ce que les menaces d’expulsion et d’enlever la garde des enfants empêche de mettre fin aux violences conjugales ?

Est-ce qu’en raison d’un manque d’indépendance économique, parfois liée à des périodes de chômage de long terme, force les femmes à rester ? Est-ce que les congés maternités élargis, volontairement ou pas, et le coût de la garde des enfants assez élevés, vis-à-vis du revenu du couple, deviennent des freins à l’autonomie de femmes migrantes ? 

Dans la vie privée de certaines femmes latino-américaines la relation femme – mère est un fait indiscutable. Décider de ne pas enfanter provoque encore des incompréhensions, au sein de la nouvelle famille, mais aussi de propre. Il ne faut pas oublier la pression que la religion exerce aussi sur les corps des femmes en Amérique Latine, mais aussi nos constructions familiales si fusionnelles, dépendantes, et souvent aussi étouffantes.

D’autre part, certaines d’entre nous, des femmes ayant obtenues des diplômes d’éducation supérieure, retrouvons des difficultés pour accéder au marché de l’emploi français, même malgré une reprise obligée des études. Or, je ne peux pas parler comme si la majorité d’entre nous se retrouvaient face à cette situation, mais je connais plusieurs cas où on doit se contenter des emplois en dessous de nos niveaux d’études, compétences et expériences.

Sur les groupes d’entraide des femmes latino-américaines, je constate que la plupart des participantes se proposent pour occuper des emplois non déclarés, mal rémunérés et souvent en relation avec le « care ». Des rôles assez genrés et normalisées dans nos sociétés y compris dans la sphère éducative. Pour les femmes qui n’ont pas pu acheminer une éducation formelle c’est donc la double peine.

Pour le 8 Mars 2021, j’ai écrit un article pour une revue latino-américaine, mais il n’a pas été choisi pour être publié. Or, ce qui m’a profondément choquée ce sont les motives de ce refus.

On m’a fait comprendre que je me positionnais comme une femme migrante mais à partir d’un féminisme mainstream, colonial et donc privilégié. Or, j’ai vécu ici en France le racisme, le sexisme, la discrimination à l’emploi. 

Je connais les combats de mes grand-mères, de ma mère, de mes tantes qui se sont battues pour le droit à travailler, à accéder à un emploi durable ou à créer leur propre commerce et ainsi pouvoir, parfois, élever seules les enfants.

Mon corps et mon estime ont subi des violences et si j’ai eu quelques privilèges, je ne pense pas être détachée des combats de femmes racisées, car tous les jours, je me vois comme une femme, mais surtout on me fait comprendre que je suis une femme racisée. J’ai eu des emplois mal rémunérés, peu reconnus, certains avec infimes possibilités d’évolution, cela malgré mes études et mon permis de séjour ou les droits apportés par la nationalité française. 

Ce qui m’inquiète est notre place en tant que femmes migrantes, loin d’appartenir à la société dominante. Je m’inquiété de ma place dans la société française, mais aussi sur comment je suis perçue par les autres femmes latino-américaines. Par celles qui ont décidé ou qui doivent rester sur place, tout cela au vu critiques récurrentes lesquelles n’ont un autre objectif que celui de me faire comprendre que je n’ai pas ma place là-bas non plus.

Publié par Mi vida en cuatro tiempos

Escribo para responder a la necesidad creativa de compartir reflexiones, aventuras y algunas historias personales. J'écris pour exprimer plein d'idées ou de réflexions qu’occupent ma tête quotidiennement. Ce Blog contient aussi quelques histoires personnelles.

Laisser un commentaire