En retard…

Après 26 homicides commis par les forces d’ordre,

Après 216 interventions violentes des forces de l’ordre,

Après 56 disparitions dans le cadre de manifestations,

Après 1118 cas de violences policiers reportées,

Après 761 détentions arbitraires de manifestants,

Après 9 victimes de violences sexuelles commis par les forces de l’ordre,

Après 17 victimes d’agressions oculaires [1]; le gouvernement d’Ivan Duque a décidé de retirer la réforme tributaire, présenté par le Ministère de Finances le 16 avril dernier.

Cette horreur a eu lieu dans une période de cinq jours, compris entre le 28 avril et le 2 mai 2021. Loin de calmer des centaines de milliers de colombien(ne), la mobilisation sociale continue et on craint que ces chiffres ne fassent qu’augmenter.

Le gouvernement est en retard dans la prise en charge de populations plus fragilisées par la pandémie. Les mêmes populations qui depuis deux décennies constatent une augmentation du travail informel – non déclaré, d’une sécurité social en péril, d’une dégradation de l’accès à l’éducation, d’une division du travail défavorable pour les femmes. Ces dernières sont majoritairement en charge des soins et du foyer, mais la pandémie a montré le poids que cela implique sur la vie des femmes.

Cette répartition genrée du travail au foyer implique, depuis de début de la crise sanitaire, la mise en danger de leurs sources de revenus et de leur autonomie. Le taux de chômage pour les femmes colombiennes s’élève à 20,4%, face au 12,7% pour les hommes.[2]

Rien n’est fait non plus pour protéger les femmes face à l’augmentation de violences envers elles.  L’Observatoire Colombien de Féminicides a confirmé 630 cas des homicides commis par les conjoints ou ex conjoints des femmes au cours de l’année 2020, face aux 571 cas en 2019. Un rapport de la Ligne de Sécurité Urbaine et du Crime Organisée a reçu 113.567 plaintes concernant des violences intrafamiliales en 2020. [3]

La Commission Economique pour Amérique Latine et les Caraïbes (CEPAL), institution onusienne en charge d’analyser l’information d’ordre économique et social dans la région, a déjà confirmé que 118 millions des femmes latino-américaines se retrouveront en situation de pauvreté, 28 millions de plus qu’en 2019.[4]

Le gouvernement colombien est en retard dans la présentation d’une réforme au fonctionnement de forces de l’ordre, pour éviter que toutes les violences commis par ceux doivent « nous défendre et nous protéger » ne restent pas dans l’impunité.

D’après l‘Index Global d’Impunité[5], la Colombie occupe le poste 50 sur 69 pays. La capacité structurelle de la Colombie en matière de garantir la justice est précaire. L’index note le Système de sécurité à place 60, le Système de justice à la place 54 et le respect aux Droits Humains à la place 50.[6]  La Colombie est donc un état dont le système de sécurité ne protège pas ses citoyens, l’application de la justice est déficiente et le respect aux Droits Humains un discours.

Entre 2017 et 2019 la Police Nationale a assassinée 289 personnes. Le procureur général a ouvert 103 enquêtes pour homicide involontaire, 3 pour féminicide, 20 pour homicide volontaire. Cela veut dire que le procureur a ouvert des enquêtes formelles seulement dans le 44% des cas, il y a eu 2 condamnations et 4 enquêtes archivées. Seulement le 0,69% des homicides commis par la Police Nationale a fini par une condamnation. Le 99% restent dans l’impunité.[7]

Grosso modo, le gouvernement est en retard dans la compréhension des problèmes sociaux structurels, dans le deuxième pays le plus inégal de la région. Tous les jours les inégalités se creusent et la pandémie nous aura volés vingt ans de maigre progrès social.

Aussi, les partis politiques colombiens sont en retard dans leur travail législatif au Congrès. Le pouvoir législatif, l’un des contrepoids prévus par la Constitution de 1991, « travail » virtuellement depuis le 20 juillet 2020. Depuis, les discussions des projets de loi, les droits de l’opposition, le déroulement de votations sont entravés. La majorité, fidèle au gouvernement d’Ivan Duque, s’oppose au retour à la normalité, alors que depuis le mois de février tous les salariés et les étudiants ont été conviés à reprendre leurs activités de manière présentielle.   

Le gouvernement est en retard dans l’application de l’accord de paix signé par l’Etat colombien en 2016 avec les FARC. Ces retards ont été comblés par les groupes dissidents et d’autres groupes armés qui règnent dans les anciennes zones d’influence des FARC. Ce retard se paye par l’assassinat de plus de 200 anciens combattants, signataires de l’accord, depuis 2016. Ce retard se paye par l’assassinat de 310 leaders sociaux en 2020, et les massacres presque quotidiens, à la hauteur de 60 en 2020.

En retard sont tous les médias traditionnels, qui font écho des stigmatisations du gouvernement face aux manifestants. Non, la plupart des gens qui sont dehors ne sont pas des terroristes et manifester n’est pas synonyme de vandalisme.

Le peuple colombien ne supporte plus ce retard systématique, l’aveuglement de leurs dirigeants, ni la défense acharnée du gouvernement des intérêts des plus puissants : des grands groupes, des industrielles et propriétaires terriens, des banques et des entreprises multinationales. Le peuple colombien ne supporte plus de l’autoritarisme déguisée en démocratie, ni aux criminels que depuis les réseaux sociaux invitent aux forces de l’ordre à tuer les gens dans les rues, sous excuse de la défense légitime.

Les jeunes colombien(ne).s qui remplissent les rues au cours des manifestations, et qui auront le pouvoir de voter aux élections de 2022 n’ont plus peur. Car il y n’a pas de future, car ils n’ont pas des rêves ni d’espoir dans un pays qui se nie à avancer, qui se nie à réclamer justice, qui se nie à arrêter la corruption, qui se nie à défendre ses communautés natives et afro, qui se nie à protéger sa biodiversité, qui se nie à faire respecter la vie, la différence et la dignité d’êtres humains.   


[1] Chiffres répertoriés par la ONG Temblores à travers de leur plateforme GRITA. https://www.infobae.com/america/colombia/2021/05/04/temblores-ong-asegura-que-hay-al-menos-1181-denuncias-por-abuso-policial-en-el-marco-del-paro-nacional/

[2] Paola Medellín Aranguren : http://ieu.unal.edu.co/medios/noticias-del-ieu/item/violencia-y-desempleo-la-otra-pandemia-que-impacta-a-las-mujeres

[3] Laura Cano : https://pares.com.co/2021/02/23/desigualdad-y-violencia-una-realidad-de-las-mujeres-en-la-pandemia/

[4] Paola Medellín Aranguren : http://ieu.unal.edu.co/medios/noticias-del-ieu/item/violencia-y-desempleo-la-otra-pandemia-que-impacta-a-las-mujeres

[5] Modèle statistique mesure et compare l’impunité entre pays « chaîne de l’impunité ». L’index cherche à suivre le processus entamé suite à la commission d’un délit, au dépôt de plainte, à l’enquête sur les faits dénoncés, puis à la sentence par un juge ou à la réparation de la victime.

Dont 1 implique impunité nulle et 100 impunité total, mais où l’index plus défavorable est de 69 (Thaïlande) selon les informations obtenues pour l’élaboration de cet étude.

[6] Page 54 : Index Global d’impunité 2020. https://www.casede.org/index.php/biblioteca-casede-2-0/autores-casede/gerardo-rodriguez-sanchez-lara/574-indice-global-de-impunidad-2020/file

[7] Temblores ONG. Informe : Bolillo, Dios y Patria. Pag: 62 et 63. https://4ed5c6d6-a3c0-4a68-8191-92ab5d1ca365.filesusr.com/ugd/7bbd97_f40a2b21f9074a208575720960581284.pdf  

Publié par Mi vida en cuatro tiempos

Escribo para responder a la necesidad creativa de compartir reflexiones, aventuras y algunas historias personales. J'écris pour exprimer plein d'idées ou de réflexions qu’occupent ma tête quotidiennement. Ce Blog contient aussi quelques histoires personnelles.

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